Daïmôn. (a) Daïmôn est un mot grec
doù vient <démon>. Le démon de Socrate était son intuition et sa
prémonition: <<Ce je ne sais quoi qui vous prend, vous emporte et vous
force>> de quitter un lieu où se déroulera une rixe, une bagarre, une
manifestation, une avalanche ou une catastrophe juste après votre départ. Lange
tutélaire et lange gardien en sont les formes religieuses.
(b) Généralisation interculturelle. Il nest pas de culture qui nait
desprits, danges, darchontes, darchanges, de génies, de démons,
de démiurges, de fravartis, de djinns, de chérubins, de séraphins, déons,
delfes, de farfadets, de muses ni de fées. La seule question est de savoir si on
accepte des instances intrapsychiques, si on en fait des êtres extérieurs appartenant à
l institution officielle (les anges de La Hiérarchie céleste, pour lecclesia
doù lÉglise) ou si on les repousse, par exclusion, dans la géhenne du feu
de lEnfer ou des Enfers.
(c) Les travaux sur la transe chamanique, sur les expériences psychédéliques liées à
la prise de L.S.D., sur lhypnose ou sur la méditation, incitent à introduire une
hiérarchie des états de conscience. Le Daïmôn ou lintuition serait lun
dentre eux. De même, lergonomie cognitiviste (Nathalie Bonnardel, Françoise
Darses) suppose que lexpert réalise une compilation de ses connaissances doù
il tirerait ses intuitions.
Voir Malin. Serpent. Ange. Séraphin. Échelle de Jacob . Descente aux Enfers . Monde
dHadès . Paradigme opportuniste . Inspiration. Paradis perdu .
Voltaire DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE
Génie, daimon; nous en avons déjà parlé à
larticle Ange. Il nest pas aisé de savoir au juste si les péris des Perses
furent inventés avant les démons des Grecs; mais cela est fort probable.
Il se peut que les âmes des morts, appelées ombres, mânes, aient passé pour des
démons. Hercule, dans Hésiode, dit quun daimon lui ordonna ses travaux(1).
Le daimon ou démon de Socrate avait tant de réputation, quApulée, lauteur
de lÂne dor, qui dailleurs était magicien de bonne foi, dit dans son
Traité sur ce génie de Socrate, quil faut être sans religion pour le nier. Vous
voyez quApulée raisonnait précisément comme frère Garasse et frère Berthier. «
Tu ne crois pas ce que je crois, tu es donc sans religion. » Et les jansénistes en ont
dit autant à frère Berthier, et le reste du monde nen sait rien. Ces démons, dit
le très religieux et très ordurier Apulée, sont des puissances intermédiaires entre
léther et notre basse région. Ils vivent dans notre atmosphère, ils portent nos
prières et nos mérites aux dieux. Ils en rapportent les secours et les bienfaits, comme
des interprètes et des ambassadeurs. Cest par leur ministère, comme dit Platon,
que sopèrent les révélations, les présages, les miracles des magiciens.
« Caeterum sunt quaedam divinae mediae potestates, inter summum aethera, et infimas
terras, in isto intersitae aeris spatio, per quas et desideria nostra et merita ad deos
commeant. Hos Graeco nomine daimona; nuncupant. Inter terricolas coelicolasque vectores,
hinc precum, inde donorum: qui ultro citroque portant, hinc petitiones, inde suppetias:
ceu quidam utriusque interpretes, et salutigeri. Per hos eosdem, ut Plato in Symposio
autumat, cuncta denuntiata, et magorum varia miracula, omnesque praesagiorum species
reguntur. » (Apulée, De deo Socratis.)
Saint Augustin a daigné réfuter Apulée; voici ses paroles(2):
« Nous ne pouvons non plus dire que les démons ne sont ni mortels ni éternels; car tout
ce qui a la vie, ou vit éternellement, ou perd par la mort la vie dont il est vivant; et
Apulée a dit que, quant au temps, les démons sont éternels. Que reste-t-il donc, sinon
que les démons tenant le milieu, ils aient une chose des deux plus hautes et une chose
des deux plus basses? Ils ne sont plus dans le milieu, et ils tombent dans lune des
deux extrémités; et comme des deux choses qui sont, soit de lune, soit de
lautre part, il ne se peut faire quils nen aient pas deux, selon que
nous lavons montré, pour tenir le milieu, il faut quils aient une chose de
chacune; et puisque léternité ne leur peut venir des plus basses, où elle ne se
trouve pas, cest la seule chose quils ont des plus hautes; et ainsi pour
achever le milieu qui leur appartient; que peuvent-ils avoir des plus basses que la
misère? »
Cest puissamment raisonner.
Comme je nai jamais vu de génies, de démons, de péris, de farfadets, soit
bienfaisants, soit malfaisants, je nen puis parler en connaissance de cause, et je
men rapporte aux gens qui en ont vu.
Chez les Romains on ne se servait point du mot genius, pour exprimer, comme nous faisons,
un rare talent; cétait ingenium. Nous employons indifféremment le mot génie quand
nous parlons du démon qui avait une ville de lantiquité sous sa garde, ou
dun machiniste, ou dun musicien.
Ce terme de génie semble devoir désigner, non pas indistinctement les grands talents,
mais ceux dans lesquels il entre de linvention. Cest surtout cette invention
qui paraissait un don des dieux, cet ingenium quasi ingenitum, une espèce
dinspiration divine. Or, un artiste, quelque parfait quil soit dans son genre,
sil na point dinvention, sil nest point original, nest
point réputé génie; il ne passera pour avoir été inspiré que par les artistes ses
prédécesseurs, quand même il les surpasserait.
Il se peut que plusieurs personnes jouent mieux aux échecs que linventeur de ce
jeu, et quils lui gagnassent les grains de blé que le roi des Indes voulait lui
donner mais cet inventeur était un génie; et ceux qui le gagneraient peuvent ne pas
lêtre. Le Poussin, déjà grand peintre avant davoir vu de bons tableaux,
avait le génie de la peinture. Lulli, qui ne vit aucun bon musicien en France, avait le
génie de la musique.
Lequel vaut le mieux de posséder sans maître le génie de son art, ou datteindre
à la perfection en imitant et en surpassant ses maîtres?
Si vous faites cette question aux artistes, ils seront peut-être partagés: si vous la
faites au public, il nhésitera pas. Aimez-vous mieux une belle tapisserie des
Gobelins quune tapisserie faite en Flandre dans les commencements de lart?
préférez-vous les chefs-doeuvre modernes en estampes aux premières gravures en
bois? la musique daujourdhui aux premiers airs qui ressemblaient au chant
grégorien? lartillerie daujourdhui au génie qui inventa les premiers
canons? tout le monde vous répondra: « Oui. » Tous les acheteurs vous diront: «
Javoue que linventeur de la navette avait plus de génie que le manufacturier
qui a fait mon drap; mais mon drap vaut mieux que celui de linventeur. »
Enfin, chacun avouera, pour peu quon ait de conscience, que nous respectons les
génies qui ont ébauché les arts, et que les esprits qui les ont perfectionnés sont
plus à notre usage.
Section II.
Larticle Génie a été traité dans le grand Dictionnaire par des hommes qui en
avaient. On nosera donc dire que peu de chose après eux.
Chaque ville, chaque homme ayant eu autrefois son génie, on simagina que ceux qui
faisaient des choses extraordinaires étaient inspirés par ce génie. Les neuf muses
étaient neuf génies quil fallait invoquer; cest pourquoi Ovide (Fastes, VI,
5) dit:
Est deus in nobis, agitante calescimus illo.
« Il est un dieu dans nous, cest lui qui nous anime. »
Mais, au fond, le génie est-il autre chose que le talent? Quest-ce que le talent,
sinon la disposition à réussir dans un art? Pourquoi disons-nous le génie dune
langue? Cest que chaque langue par ses terminaisons, par ses articles, ses
participes, ses mots plus ou moins longs, aura nécessairement des propriétés que
dautres langues nauront pas. Le génie de la langue française sera plus fait
pour la conversation, parce que sa marche nécessairement simple et régulière ne gênera
jamais lesprit. Le grec et le latin auront plus de variété. Nous avons remarqué
ailleurs que nous ne pouvons dire « Théophile a pris soin des affaires de César » que
de cette seule manière; mais en grec et en latin on peut transposer les cinq mots qui
composeront cette phrase en cent vingt façons différentes, sans gêner en rien le sens.
Le style lapidaire sera plus dans le génie de la langue latine que dans celui de la
française et de lallemande.
On appelle génie dune nation le caractère, les moeurs, les talents principaux, les
vices même, qui distinguent un peuple dun autre. Il suffit de voir des Français,
des Espagnols et des Anglais, pour sentir cette différence.
Nous avons dit que le génie particulier dun homme dans les arts nest autre
chose que son talent; mais on ne donne ce nom quà un talent très supérieur.
Combien de gens ont eu quelque talent pour la poésie, pour la musique, pour la peinture!
Cependant il serait ridicule de les appeler des génies.
Le génie conduit par le goût ne fera jamais de faute grossière: aussi Racine depuis
Andromaque, Le Poussin, Rameau, nen ont jamais fait.
Le génie sans goût en commettra dénormes; et ce quil y a de pis, cest
quil ne les sentira pas.
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